Socratim in the Trends-Tendances Magazine

"Les métiers des ressources humaines jouent des coudes" - 16 janvier 2014 - Texte d' Olivier Standaert, journaliste du Trends.

 

Intérim, recrutement, «executive search», outplacement, «projectsourcing», coaching et formation: qui fait quoi dans les ressources humaines? De l’aveu de plusieurs acteurs, la cartographie du secteur s’est brouillée et complexifiée. De plus en plus de sociétés taillent des croupières à la concurrence en faisant un peu de tout. Cette diversification pose la question des méthodes de travail, parfois prises en tenaille entre le besoin de rentabilité et la conjoncture morose.

 

«Nous en avons ras-le-bol des pseudo bureaux qui travaillent par clics de souris et prétendent aboutir aux mêmes résultats que nous. Nous restons fidèles depuis 1975 au vrai métier de chasseurs de têtes, au sens le plus strict du terme. Mais l’expression est souvent galvaudée. Notre méthode, c’est l’approche directe, vouée à la recherche de cadres supérieurs et spécifiques. Nous visons le créneau des cadres et up middle class, en dessous des dirigeants et des top managers. Mais si nous pensons que notre méthode nous distingue, nous constatons que tout le monde peut dire qu’il fait de l’approche directe sans y mettre la manière, le temps nécessaire et la déontologie. Ce n’est pas une bonne chose pour le secteur.» A écouter Annick Declercq-Kloppert et Philippe De Wil, partners chez inexsa Executive search, il est temps de taper du poing sur la table. Leur analyse est partagée par d’autres, soucieux de donner une vue plus claire des métiers des ressources humaines et de trier le bon grain de l’ivraie...

 

Le marché des métiers RH est en plein décloisonnement, bousculé par un nombre croissant d’acteurs et de techniques de contact qui n’existaient pas voici 15 ans. A commencer par les réseaux sociaux : «Pour ce que nous faisons, soit la recherche de cadres spécifiques, LinkedIn et consorts peuvent être des outils indirects, mais ce n’est qu’une petite partie de la mission. Oui, on doit connaître l’expertise des candidats, et leur track record. Mais il y a aussi et surtout la personnalité, le tissu humain. Et pour évaluer cela, aucun CV ni réseau social ne remplaceront le capital relations que nous avons constitué, ni l’approche directe des cadres identifiés et des entreprises avec lesquelles nous travaillons depuis tant années. Cette conception de l’executive search nous rapproche d’un artisanat du type tailor made», poursuit-on chez inexsa.

 

La méthode, c’est la marque de fabrique

Le nerf de la guerre, ce sont donc les moyens, et leurs tarifs. Dans le segment très select de l’executive search, réservé en général au haut du panier (salaires annuels aux alentours des 180.000 euros et (bien) plus), la question de la méthode est cruciale pour se distinguer de la concurrence. C’est que les missions coûtent cher. Selon les chiffres de Federgon, la fédération représentant les métiers RH, seuls 8 % des placements se font via le canal de l’executive search. «On vient chez nous parce que la mission est difficile et qu’on a déjà essayé de l’accomplir avec des moyens moins coûteux», recadre Bernard Ghins, consultant chez Eric Salmon & Partners, bureau d’executive search à vocation généraliste. «Notre approche offre aussi, dans le cas de nominations importantes, l’avantage de clarifier, externaliser et professionnaliser les procédures pour un nombre suffisant de candidats. Nous sommes à même de faire ce travail avec neutralité, sans pousser un candidat maison, mais également avec du sens moral : si je vois que quelqu’un est bien là où il est, dans une bonne société, et que le poste à pourvoir ne lui offre pas les mêmes garanties, que le risque d’échec y est important, je le lui dirai, même si dans un sens, ça ne fait pas mes affaires. Une des grosses différences entre l’executive search et les autres métiers du recrutement, c’est que nous prenons le temps de soupeser les aspects humains, la culture d’entreprise, les accointances entre le candidat et la société. Il faut savoir vendre un poste, tester ceux qui peuvent l’occuper. C’est un travail qui prend des mois. Et ne pas prendre ce temps équivaut à courir le risque de placer une personne inadéquate, ce qui coûte au final encore bien plus cher», analyse Bernard Ghins.

Le gros du volume d’affaires des métiers du recrutement et de la sélection se fait dans la catégorie située en dessous de l’executive search en termes de fonctions et de salaires bruts annuels, mais aussi de méthodes. Près d’un placement sur deux se fait via le canal des bases de données publiques et privées. La question des méthodes et des valeurs n’en est pas moins sensible. Chez les Suédois de Mercuri Urval, actifs depuis 45 ans dans la sélection et le recrutement pour le middle class management (entre autres), on insiste notamment sur les approches prospectives, incarnées par le talent management : «On recrute moins des compétences qu’un potentiel. Cette méthode sert à aider une société à définir ce qu’est un talent potentiel pour elle. On dépasse donc l’urgence du poste vacant. Comment trouver ce talent, l’attirer, le motiver ? Cela influence fortement notre approche», explique Nathalie Mazy, directrice générale de Mercuri Urval Belgium. «En discutant avec des cadres licenciés au cours des derniers mois, je constate la difficulté qu’il y a à apprécier la profondeur des changements dans le monde du travail. Il y a de quoi être déboussolé. Il y a 12 ans, 100 % de nos missions exploitaient le canal des annonces dans la presse écrite. Aujourd’hui, on en est à quasi 0 %. Ajoutez à ces mutations une pénurie générale de talents, très sensible dans certains secteurs comme l’IT ou le people management, et vous aurez une vision claire de nos défis. Nous devons jongler avec une multitude de canaux de recherche et être de plus en plus proactifs pour dénicher des profils peu nombreux. Sinon, d’autres s’en chargeront, ajoute Nathalie Mazy. Dans ce contexte, il est vrai qu’il y a un certain nombre de cow-boys peu respectueux de la manière dont ils poussent des gens vers des postes parfois survendus. L’accroissement du nombre d’acteurs s’accompagne d’une diversification des prestations mais aussi de certains effets néfastes...»

 

Tout le monde fait un peu de tout... à tort ou à raison ?

Du côté de Federgon, on confirme que plus personne n’hésite à sortir de son pré carré pour fouler les platebandes de la concurrence, «et que ça ne date pas d’hier», ajoute Paul Verschueren, directeur research & economic affairs. Le cas des sociétés d’intérim (lire l’encadré «Randstad ou les RH en éventail») est à ce titre assez éclairant. On voit aussi des sociétés cataloguées dans l’executive search «descendre» de catégorie et effectuer des missions qu’elles n’auraient pas acceptées avant la crise. Le chemin inverse est vrai aussi, et de plus en plus d’acteurs ouvrent une cellule d’executive search. La crise n’est pas étrangère à ces mouvements : il faut faire du chiffre dans un contexte délicat. Les postes à pourvoir sont moins nombreux, notamment parce qu’on ne remplace pas tous les départs en pension. «On voit quand même que les gens hésitent à deux fois avant de bouger, et que les sociétés essayent plus qu’avant de résoudre leurs tâches de sélection et de recrutement en interne», estime Bernard Ghins. «Cette diversification s’explique avant tout par l’évolution du cadre légal, qui permet désormais à une seule structure de pouvoir offrir plusieurs services différents. Le cloisonnement était bien plus fort il y a 10 ans. Mais c’est aussi une demande du marché : on peut facilement comprendre les sociétés qui veulent obtenir un maximum de services auprès d’un seul et même interlocuteur. La tendance ne risque pas de s’estomper», prédit Paul Verschueren. Cette diversification nuit-elle au secteur ? «Cela crée de la concurrence mais je ne pense pas que cela rende le marché opaque ou flou. Simplement, il y a de plus en plus de choix et d’opérateurs.» Et donc de frictions potentielles entre acteurs...

 

Certains optent néanmoins pour une spécialisation. L’interim management est un exemple d’activité de niche avec des contraintes assez spécifiques. Il offre aux entreprises les ressources humaines qualifiées dont elles ont besoin temporairement et dans un contexte d’urgence. «N’est pas interim manager qui veut. C’est un métier à part entière dont les attentes et la complexité sont différentes que pour les postes permanents d’une entreprise, explique Fotini Efthymiadis, directrice générale de Socratim. En effet, l’entreprise attend des interim managers qu’ils s’adaptent directement et délivrent les résultats dans les délais impartis.» Les contextes les plus typiques sont les changements, les remplacements de cadres, etc. «Je travaille avec des indépendants hautement qualifiés qui ont minimum 20 ans d’expérience, sélectionnés méticuleusement sur la base de leur profil et motivation», précise Fotini Efthymiadis. Comme souvent, la réputation est capitale, et se bâtit au fil des ans sur des valeurs et des résultats. «Concrètement, cela veut dire que mon métier ne se limite pas aux aspects techniques du besoin de l’entreprise et du profil du candidat. Je m’attelle à bien connaître mes clients, qui sont tant les interim managers que les entreprises, avant qu’il y ait un besoin. Cela me permet de personnaliser mes services et d’offrir une vraie valeur ajoutée dans le conseil et la sélection du candidat, en termes d’expertise, de personnalité et d’attitude requise. Je reste présente tout au long de la mission en tant que facilitateur et coach. Il ne suffit pas de placer un manager qui a de l’expérience pour garantir le résultat. J’offre donc un suivi sur mesure et veille à ce que toutes les parties restent impliquées et soient sur la même longueur d’onde tout au long du mandat.»

 

Un secteur qui souffre en attendant la reprise

En 2012, quasi toutes les branches d’activité RH ont subi le contrecoup de la crise. Le secteur du recrutement et de la sélection a connu une baisse de son chiffre d’affaires de 12 %, engrangeant 153 millions d’euros. Les 184 membres de Federgon ont placé 10.523 candidats. Le bilan de 2013 s’annonce d’ores et déjà maussade. Le secteur continue de souffrir du manque de création d’emplois. L’interim management a assuré 492 missions en 2012, pour 82,6 millions de chiffre d’affaires (-2,2 % par rapport à 2011). En période de basse conjoncture, l’outplacement (services d’accompagnement pour aider les travailleurs licenciés à trouver un nouvel emploi) enregistre habituellement de bons résultats. Au troisième trimestre de 2013, l’activité s’est inscrite à la hausse pour le sixième trimestre consécutif, avec une progression de 14,9 % du nombre d’accompagnements. L’intérim reste le poids lourd du secteur, avec 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, et ce malgré une baisse de son volume d’activité.

 

Randstad ou les RH en éventail

S’il y a 10 ans, les marges bénéficiaires de Randstad (n°3 mondial du secteur RH) provenaient presque entièrement de l’intérim, aujourd’hui, «le ratio se situe aux alentours de 50-50 entre notre activité historique et d’autres, parmi lesquelles l’interim management ou l’outplacement», précise Sophie Bertholet, membre du comité de direction de Randstad. «Tant du point de vue des individus que des entreprises, le développement de nouveaux services répond à de nouveaux besoins, liés notamment à l’explosion de la mobilité professionnelle et à une législation du travail en pleine évolution. Nous tirons profit de notre connaissance des marchés locaux et de notre potentiel à l’échelle du groupe pour les peaufiner.» L’acquisition en 2005 de Galilei, une société d’outplacement leader du secteur avec quelque 25 % du marché, est un des reflets de la diversification de Randstad. Il y a un an, c’est le département interim management qui a vu le jour : «de plus en plus de gens qualifiés viennent nous proposer leurs compétences, tout en voulant gérer souplement leur temps de travail. Une fois de plus, c’est une demande, et nous mettons leurs compétences au service des entreprises». Enfin, autre signe des temps, le groupe travaille actuellement sur la digitalisation complète de ses processus de sélection et de recrutement. Une tendance lourde, répondant là aussi à une demande de plus en plus évidente, entre autres dans le chef des plus jeunes générations.

OLIVIER STANDAERT

 

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